Goutte, gonarthrose, lombarthrose, océaniennes

J’ai choisi aujourd’hui de vous présenter des solutions pointues sur des affections rhumatologiques courantes plutôt qu’une description exhaustive d’une maladie moins quotidienne. Nous verrons successivement la goutte instable, les 3 grands tableaux à individualiser dans la gonarthrose, l’imagerie de la lombarthrose, et le diagnostic étagé anatomique-biologique-fonctionnel.

La goutte instable

La goutte instable est liée à des dépôts multiples, fragilisés, chez un patient utilisant des traitements de crise à la demande et ayant fait des tentatives de traitement de fond dans de mauvaises conditions. Réveil des douleurs et/ou prise irrégulière inefficace ayant conduit à interrompre le traitement.

Dans une étude récente, la cause principale de non-observance du traitement de fond est la volonté de se sentir une personne normale, en bonne santé, sans nécessité de se traiter. Indication que l’origine de la maladie n’est pas correctement expliquée/comprise. La plupart des goutteux pensent que leur affection est conséquence de leurs écarts alimentaires, qu’ils sont punis à juste titre. Leurs plaintes sont ainsi étonnamment dépourvues de tonalité revendicative. Ils acceptent leur sort. Mérité. Dès lors « le salut ne peut venir que d’un contrôle plus strict sur soi. Aucun médicament n’est nécessaire. Celui qui prend un médicament en permanence démontre plutôt son incapacité à se contrôler. »

L’origine génétique

Il est donc essentiel d’expliquer l’origine génétique de la goutte. On naît goutteux. Les goutteux sont inégaux devant la maladie, certains ayant des hyper-uricémies modestes, d’autres sont à 2 fois la norme. Des gouttes familiales sévères vont jusqu’à se révéler par des insuffisances rénales précoces dans la petite enfance. Mais en dehors de ces cas exceptionnels la goutte n’est pas une tare. Chez les océaniens elle semble protéger contre les pertes de mémoire et démences séniles. Jamais d’Alzheimer. Une mémoire parfaite à cent ans !

Bien démarrer le traitement de fond

L’introduction d’un hypo-uricémiant fait fondre les dépôts uratiques. La dissolution régulière se passe bien, la fragmentation provoque des crises. Pour éviter la seconde, il faut un régime alimentaire très stable au début du traitement. Laissez le patient manger ce qu’il veut, mais qu’il mange tous les jours la même chose, pour une uricémie stable.

Adjonction de colchicine au moins 1 à 2 mois, sous forme de demi-comprimés pour éviter la diarrhée. 1/2 comprimé matin et soir à augmenter à 1/2 x 4 dès le début d’une crise. La colchicine est un stabilisateur du cristal uratique : il marche au tout début de la crise (stade de l’alerte prurigineuse dans l’articulation), pas quand l’inflammation est enclenchée. Là il faut passer aux AINS ou corticoïdes selon la fonction rénale conservée ou non.

La silice est un oligo-élément qui semble également stabilisateur du cristal goutteux. Expérience de rhumato de ville plutôt que démonstration scientifique. Mais co-traitement intéressant pour son innocuité et son faible coût. Dissolvurol 50 gouttes matin et soir dans un verre d’eau.

Toujours pourvoir le goutteux en début de traitement de fond d’un AINS ou d’un corticoïde oral. Ketoprofène LP 100 à 200mg ou Prednisone 5 à 20mg. A prendre systématiquement si crises rapprochées.

Les cas difficiles

Quand cela ne suffit pas, penser au Kineret. Le Kineret 100® (anakinra) est à mi-chemin entre anti-inflammatoire et immuno-suppresseur. Il faut le voir comme un super anti-inflammatoire plutôt qu’un bloqueur immunitaire. Ce qui le rend intéressant pour les inflammations exubérantes telles que la goutte. Inconvénients: injections quotidiennes et prix élevé -> à réserver à l’introduction d’Adénuric dans les gouttes instables mal contrôlées par colchicine et AINS.

L’Adénuric® (febuxostat) a fait l’objet d’une alerte sur des évènements cardio-vasculaires plus fréquents. Mais d’une part des études complémentaires sont revenues sur l’incidence finalement incertaine de ces évènements, d’autre part les études initiales concernaient des populations caucasiennes, génétiquement différentes des pacifiques. Enfin il n’existe pas d’alternative efficace à l’Adénuric dans les gouttes sévères qui sont majoritaires dans nos îles. L’allopurinol est insuffisant, pas toujours bien toléré non plus (existence de DRESS gravissimes, Drug Reaction with Eosinophilia and Systemic Symptoms, une toxidermie avec 10% de mortalité). Quant à l’uricase, elle est également très coûteuse et très dangereuse à manier, avec des chocs allergiques fréquents. La seule vraie restriction à l’Adénuric est l’existence de vraies allergies cutanées -> faire prendre un fragment de cp la 1ère fois.

Why Do Patients With Gout Not Take Allopurinol?, Emad Y et al, J Rheumatol 2022 ; 49:622-6
Syndrome DRESS (drug reaction with eosinophilia and systemic symptoms), Revue médicale suisse, 2016

*

Les 3 grands tableaux de la gonarthrose

1) Chondrolyse évolutive
2) Souffrance sous-chondrale
3) Syndrome rotulien

1) Chondrolyse évolutive

Épanchement inflammatoire plus ou moins volumineux, douleur médiale ou intérieure globale, plus rarement latérale.

La douleur postérieure est moins discriminante. Elle peut résulter d’une bourse poplitée tendue par l’épanchement (sans rapport avec la situation de la lésion chondrale), ou d’une contracture du muscle poplité, “sentinelle” de l’articulation, qui se raidit pour la plupart des souffrances articulaires.

Conduite à tenir: ponction et injection de corticoïde, viscosupplémentation en même temps si l’épanchement est modeste, secondairement si l’épanchement est profus (peut se reformer plusieurs fois ce qui obligerait à pomper la visco déjà injectée), éviction relative d’appui (éviter surtout la station debout statique), continuer à mobiliser le genou sans charge (pédalage, natation, marche dans l’eau).

Très bonne indication de la visco. Intérêt des produits longue durée (Synvisc One).

Les méniscoses sont incluses dans ces chondrolyses évolutives. Le ménisque peut se réparer au même titre que les fissurations chondrales. Ne pas se précipiter sur les lésions méniscales, sauf si elles sont d’emblée très instables et source de blocages. Une visco peut être tentée avant chirurgie, sans garantie.

2) Souffrance sous-chondrale

Évolution de la chondrolyse vers le stade IV, os à nu. La plaque sous-chondrale est épaisse et résistante chez les gens en surpoids, très ossus -> bonne tolérance du pincement articulaire chez ces personnes, surtout avant 50 ans. Très bon résultat de la perte de poids, qui permet à l’os de se réparer plus facilement.

La décompensation survient avec l’âge, accentuation de l’ostéoporose qui diminue la résistance de l’os sans que le poids ait changé. Intervient aussi la réduction des activités physiques de loisir, qui stimule la réparation osseuse. L’os est toujours chargé aux mêmes endroits et se fissure. Les douleurs osseuses sous-chondrales sont caractéristiques : peu ou pas d’épanchement, déformation plutôt qu’inflammation, Doliprane préféré aux AINS, douleurs seulement à l’appui, RAS en decubitus, efficacité brève de la visco, ne fait pas mieux qu’un corticoïde tout seul.

Conduite à tenir: prothèse.

3) Syndrome rotulien

La plus fréquente cause de douleur de genou (80%) même quand il existe des lésions fémoro-tibiales évoluées. Souvent les patients sont prothésés pour la partie fémur-tibia mais sont un peu déçus car c’est la rotule qui les gênait le plus et celle-ci n’est pas remplacée, seulement décompressée. Ce sont ces patients qui ont le plus de mal à faire la rééducation et récupérer une bonne flexion. La flexion reste en effet très sensible avec la rotule non traitée. La plupart des prothèses “ratées” sont des souffrances rotuliennes non reconnues comme dominantes. Elles devraient faire l’objet d’une rééducation intensive préalable.

Car le syndrome rotulien est une prise en charge physique et mécaniste, en rééducation, sur un vélo. Visco en appoint seulement. Réalisées isolément les injections sont en échec. Raison de la difficulté à démontrer l’intérêt de la visco dans les études : la plupart des genoux traités sont rotuliens, mauvaises indications qui noient les bons résultats fémoro-tibiaux.

*

Imagerie de la lombarthrose

La lombarthrose est extrêmement courante avec le morphotype polynésien. Corps lourd, faibles courbures vertébrales (pas d’effet d’amortissement à la marche), hyperproduction osseuse réactionnelle aux charges, ostéophytose importante avec retentissement sur les foramens et le canal médullaire. Fréquence des radiculalgies, radiculites vraies, et canal rétréci responsable d’une claudication médullaire.

Il est donc extrêmement banal de voir sur les radios et au scanner des images dégénératives exubérantes, souvent dès l’âge de 30 ans. Ce n’est pas pathologique en soi. Les ostéophytes sont des processus réactionnels et non expansifs. Leur croissance est très lente. Il faut apprécier leur retentissement neurologique localement, et voir comment modifier les conditions anatomiques locales sans forcément recourir au bistouri.

Quand rien ne bouge

Se souvenir en effet que les examens lombaires sont statiques. Aucune dynamique n’apparaît en radio, scanner et IRM, qui imposent la fixité lors de la prise de cliché. Il serait possible de réaliser des clichés dits ‘dynamiques’, en différentes inflexions. Mais les irradiations sont multipliées et les praticiens ne sont pas formés à corréler les changements fins des images avec la clinique. Notez que les écoles de chiropraxie anglo-saxonnes incluent cette formation, alors qu’en France on se contente du « pas de corrélation radio-clinique ».

Le rachis, en réalité, est un axe en ondulation perpétuelle. Du moins devrait-il l’être. La mauvaise tolérance de l’arthrose vient clairement d’une réduction de la variété des exercices physiques avec l’âge. Moins de goût pour le loisir sportif. Meilleures habitudes, qui ont l’inconvénient de faire prendre au squelette des chemins trop répétitifs pour réaliser les tâches. Un rachis arthrosique a besoin de recommencer à danser.

Choisir la philosophie de la raideur ou du mouvement

En effet, pour une racine à l’étroit dans un foramen, le rachis mobile ou immobile change tout. S’il est complètement immobile, l’agression disparaît. C’est ainsi que l’on voit des lombalgiques s’améliorer avec l’âge, par enraidissement lombaire naturel. Les hommes sont très concernés, les femmes très rarement. C’est aussi l’objectif de l’arthrodèse.

Avant la fixité définitive, l’immobilisme est pénalisant car les pressions s’exercent toujours de la même manière sur le foramen. Si une racine est en situation difficile, elle l’est en permanence. C’est au contraire la reprise d’une alternance d’appui qui peut lui sauver la mise. Au moins ne sera-t-elle pas serrée en permanence de la même façon. Attention, la reprise des mouvements ne doit pas non plus l’agresser davantage. Il s’agit donc d’une rééducation attentive, privilégiant les étirements postérieurs, très analytique. Le rééducateur doit avoir reçu une formation spécifique.

Une technique remarquable et méconnue est l’amphothérapie, créée par Jean-Marie Soulier. Elle consiste à mettre les articulaires postérieures en position haute (par un étirement lombaire en flexion antérieure), caler les articulaires dans cette position par une pression lombaire, et repartir en flexion postérieure. Le mouvement a pour point fixe l’articulaire postérieure. La flexion postérieure produit alors une ouverture du foramen et du disque. C’est une technique que le patient peut facilement apprendre à pratiquer tout seul.

En complément

Une rééducation bien conduite, bien expliquée, que le patient s’approprie, est un préalable indispensable dans toute lomboradiculalgie chronique. Les infiltrations intra-rachidiennes sont un appoint utile pour apporter une antalgie dans les débuts de kiné difficile. Elles ne sont pas anodines. Certains pays les ont interdites. Elles ne remplacent jamais la rééducation, la facilitent.

L’IRM lombaire n’a d’intérêt qu’en cas de suspicion d’origine non dégénérative (ce qui est exclu dans les douleurs anciennes), ou pour préciser le geste opératoire. Dans ce cas c’est le chirurgien qui réclame l’examen. Le scanner est suffisant pour un avis chirurgical en cas d’échec de la rééducation. Le meilleur examen pour préciser l’indication est l’EMG, qui objective mieux le retentissement neurologique que les douleurs alléguées. C’est important dans une île où les patients recherchent les examens pratiqués hors territoire pour profiter de la gratuité du déplacement.

*

Le diagnostic étagé anatomique-biologique-fonctionnel

Ce qui nous amène à notre dernier sujet : diagnostiquer au bon étage de la complexité humaine, quand les problèmes sont une intrication de biologie, anatomie, perception douloureuse et vie personnelle.

Dans ces mélanges, il est important de reconnaître ce qui est primitif et secondaire. Une souffrance physique peut déclencher secondairement des problèmes personnels et professionnels. Mais à l’inverse, des problèmes professionnels inavoués vont transformer une lésion bénigne en échec thérapeutique pour le médecin. En prescrivant un arrêt de travail, il traite temporairement le problème professionnel en même temps que le physique. Mais ce n’est pas un traitement de fond. Peu importe que le problème physique soit correctement réglé, le patient ne peut aller mieux. Son vrai problème est le retour au travail. Aucun changement ne l’attend. Les conditions de travail sont donc une enquête aussi importante que l’examen médical dans toute douleur ostéo-articulaire.

Les radiculalgies prolongées sont presque systématiquement responsables d’un problème secondaire de perception. C’est-à-dire que même une fois la lésion anatomique guérie, la douleur persiste. C’est une douleur cicatricielle, neurologique centrale, liée à l’hyperstimulation prolongée des aires sensitives destinataires des signaux radiculaires. On peut parler de ‘célébrité centrale’ de la douleur. Elle n’est pas simulée, pas volontairement psychologique. C’est un problème purement inconscient du traitement de la douleur. 

Contre-stimuler

La rééducation ici est différente, concerne les terminaisons sensitives : il faut les stimuler intensivement pour réinscrire une échelle d’évaluation correcte dans les aires centrales. Ce sont les techniques dites de “contre-stimulation” : mésothérapie, acupuncture, traitement manuel des tissus pour stimuler les différents capteurs du tact, douleur, sensibilité thermique et épicritique. Quand l’indication est bonne, une séance de mésothérapie suffit souvent à faire disparaître toutes les douleurs résiduelles. Tandis que ces techniques sont inefficaces voire aggravantes au stade de la radiculite inflammatoire.

Le diagnostic multi-étagé considère indépendamment les niveaux biologique, anatomique, perceptif, interprétation cognitive, image de soi, personnalité sociale, pour ne citer que les principaux étages. Le médecin ne doit pas se laisser imposer un diagnostic biologique ou anatomique de la part du patient (réclamation d’examens complémentaires ou de traitements superflus). Par contre le médecin ne doit pas imposer un diagnostic psychologique au patient qui ne peut le recevoir ainsi. Un diagnostic biologique se traite par l’assaut médicamenteux, un diagnostic psychologique est amené en toute délicatesse à être partagé.

Se pencher sur la boîte noire

Mais le plus souvent dans les douleurs chroniques, le diagnostic concerne la “boîte noire” de la perception, l’interprétation des signaux sensoriels au niveau inconscient. Ni le médecin ni le patient ne peuvent évaluer avec des outils fiables le résultat de cette perception. Ce qui peut les mettre d’accord, c’est qu’il existe une inadéquation entre la douleur et sa cause physique telle que montrée par les examens. C’est cette inadéquation qu’il faut traiter et non une anatomie déficiente, ni une psychologie altérée. « La douleur est bien dans ma tête, mais ce n’est pas moi qui l’ai invitée ».

*

Laisser un commentaire