L’essentiel
-La réappropriation par le malade de l’autorité sur sa santé augmente fortement la part d’effet placebo/nocebo dans toute intervention thérapeutique, conventionnelle ou non
-L’effet, aussi bien positif que négatif, provient de la mise en concordance des représentations mentales du corps, de l’état physique objectif, et de l’effet attendu d’une intervention
-L’effet placebo est bidirectionnel entre mental et physiologie : initié consciemment puis conditionné dans la physiologie
-En adaptant son discours aux croyances du patient, le médecin renforce l’effet placebo et limite le nocebo
-Adaptation qui n’empêche pas de corriger les croyances erronées avec une éducation thérapeutique a posteriori
-Il existe des résistances à l’effet placebo/nocebo : “placebo-rétifs” d’une part, troubles de l’intégration corporelle d’autre part (fibromyalgie, démences).
Étymologie
–Placebo Domino « Je plairai au Seigneur », fragment d’une prière aux morts par les familles endeuillées (erreur de traduction de St-Jérôme, le psaume disait en grec « Je marcherai devant le Seigneur »)
-Le terme ‘placebo’ s’est laïcisé et a servi à stigmatiser les flatteurs, ceux qui cherchaient à plaire par tous les moyens. Il s’est étendu à la médecine pour désigner les techniques de “flatterie” aux malades censément dépourvues d’efficacité.
Des effets organiques démontrés
-Organicité de l’effet placebo/nocebo démontrée en neuroscience
-L’imagerie (TEP tomographie à émission de positons) a montré des modifications cérébrales identiques entre placebos et produits pharmacologiques
-Ne pas réduire l’effet à la perception des symptômes. L’organisme est une intégration.
-Rétro-contrôle étendu du cerveau sur la physiologie, par des neuromédiateurs mais aussi de nombreuses hormones, facteurs de croissance, médiateurs de l’immunité et de l’inflammation
Au coeur des commandes physiologiques
-L’effet placebo est déclenchée par toute intervention thérapeutique consciente
-Un médicament administré à l’insu du patient n’a pas d’effets
-Les lésions du cortex préfrontal dans l’Alzheimer empêchent l’effet placebo
-Le cerveau est le pupitre majeur des commandes physiologiques. La conscience est potentiellement un enfant qui joue avec sa biologie si elle utilise des concepts erronés
-Mort d’un faux cancer: Nashville 1974, un vendeur de chaussures retraité se voit diagnostiquer un cancer de l’oesophage, considéré comme incurable. Il est traité mais son état empire rapidement. Il meurt quelques semaines plus tard. À l’autopsie, aucun cancer, ni rien qui puisse expliquer une mort aussi rapide.
Des effets puissants
-La chirurgie-placebo est une réalité. Section factice du court extenseur dans l’épicondylite. Fausse implantation de cellules foetales avec trépanation dans le Parkison. Ligature factice de l’artère mammaire interne avec vraie thoracotomie dans la coronaropathie
-Problèmes éthiques passionnants. La chirurgie factice n’est pas sans danger mais l’absence de double aveugle en chirurgie laisse un doute sur la nécessité de nombreuses interventions
-Nocebo: cas documentés de décès auto-infligé lors de malédictions vaudou
-Overdose de placebo: Jackson USA 2007, un homme de 26 ans participant à un essai sur un antidépresseur avale 29 comprimés dans une tentative de suicide. Il présente tous les signes d’un choc sévère : hypotension, lividité, sueurs, tremblements. Son état se stabilise seulement lorsqu’il apprend que les 29 cp étaient des placebos
-Nourrissons et animaux sont sensibles à l’effet placebo. Ils savent reconnaître un effort de soin
Les limites du concept corps-machine
-La médecine expérimentale de Claude Bernard a répandu en Occident le concept de corps-machine, qui fonde toujours la plupart des études scientifiques
-L’omniprésence des effets placebo et nocebo rend plus fructueux le concept d’organisme, complexité étagée de la biologie au mental, avec un ancrage possible des pathologies et des interventions à tous les étages
-Le mental s’étage en niveaux conceptuels (attentes du patient) et biologiques (sensibilité aux opiacés), corroboré en TEP par l’activation du cortex préfrontal d’une part, cortex cingulaire antérieur d’autre part (riche en récepteurs opiacés)
-Il faut voir cette organisation neurologique comme verticale et non comme une juxtaposition de centres fonctionnels. L’intégration du biologique en mental est pyramidale.
Conception pyramidale de l’organisme
-permet de comprendre que l’effet placebo —intervention mentale— soit plus marqué sur les niveaux mentaux profonds que sur les niveaux biologiques, plus lointains.
-Effet important sur neuropathies, anxiété, dépression, douleur, et sans doute inexistant sur des cellules tumorales ou des chondrocytes (arthrose) qui sont stimulés principalement par des mécanorécepteurs.
-Des symptômes appartenant au même étage sont améliorés conjointement. La douleur associée à l’anxiété est la plus sensible au placebo, bien davantage qu’une douleur nociceptive
-L’importance des effets mentaux du placebo explique qu’il soit difficile de déceler le surcroît d’un médicament actif dans la dépression
Le temps, placebo majeur?
-Une majorité d’affections guérit spontanément avec le temps
-Les études incluent des malades susceptibles de guérison spontanée
-qui sont inclus dans les effets dits placebo
-En sens inverse un placebo peut laisser au temps produire son effet, par exemple en diminuant l’anxiété et en permettant au patient de constater sa guérison spontanée
Le médecin n’est plus un bon placebo
-Le médecin des siècles passés était seul dépositaire de l’autorité en matière de santé
-L’effet placebo/nocebo était dominé par son diagnostic
-La création de l’hôpital a amplifié cette domination. Dans ce cadre exclusif, les patients mettent en retrait leur personnalité, se conforment à la présentation attendue pour la maladie, facilitent le diagnostic. L’autorité fut entièrement transférée au médecin.
-C’est fini ! Aujourd’hui la concurrence avec les médias est rude. Doctinautes mis en compétition avec les professionnels
-Patient réinvesti dans sa propre autorité sur la maladie, ce qui amplifie l’effet placebo/nocebo qu’il déclenche. Il a en effet récupéré la propriété des croyances sur le traitement, dont la concordance avec le résultat attendu produit l’effet positif ou négatif
-Amplification considérable de l’effet nocebo par des notices improductives, écartelées entre le devoir d’information et cet effet désastreux. Nécessité d’une personnalisation de l’info
Le placebo est un interventionnisme
-L’effet résulte d’une intervention active brisant les routines du patient
-> Une placebothérapie peu motivée ou devenue routinière est inefficace
-> L’effet placebo important dans les études vient de l’implication des cobayes (effet Hawthorne)
-> Le type de vecteur placebo a une forte incidence
-> On comprend ici pourquoi une chirurgie placebo est très efficace (interventionnisme extrême)
Vecteurs de l’effet placebo/nocebo
-Un comprimé emballé a plus d’effet qu’un comprimé en vrac
-Une gélule a plus d’effet qu’un comprimé, les pilules très petites et très grandes font mieux que celles de taille moyenne
-Une injection a plus d’effet qu’un comprimé
-Une injection avec prédiction d’un effet immédiat (réveil ou anesthésie d’une douleur) a plus d’effet qu’une injection sans discours d’accompagnement
-Un vaccin expérimental est porteur d’une lourde charge de nocebo, alors que ses effets secondaires courants sont associés à une meilleure réponse immunitaire
Annoncer qu’il s’agit d’un placebo?
-On sait que la connaissance du mode d’action du placebo n’est pas un obstacle à son effet
-Il bloque ceux qui ont une opinion préconçue du placebo (auto-interdiction d’en bénéficier)
-La conscience ne triche pas avec elle-même mais avec l’inconscient, très bête mais très proche des commandes physiologiques
-> Interventionnisme nécessaire également sur le principe du placebo. Placebothérapie à faire sur l’effet placebo !
Le placebo conditionné
-Un placebo est plus efficace après absorption préalable d’un produit actif
-> Principe d’un “apprentissage” inconscient à la guérison par l’absorption d’un médicament actif
-Le médicament est associé à un stimulus original (par exemple une boisson à la couleur et au goût particuliers) utilisé ensuite pour reproduire l’effet du médicament
-Effet démontré dans des affections aussi diverses que les allergies, TDAH, maladies auto-immunes, suites de greffe d’organe, Parkinson
-L’effet ne perdure pas. Il permet un allègement thérapeutique, avec moins d’effets secondaires. Exemple: réduction des complications de l’immunosuppression quand un placebo est utilisé en adjuvant d’un traitement anti-rejet
-Bien choisir le produit actif initial. Par exemple si un anti-douleur n’est pas ressenti efficace, le conditionnement ultérieur par un placebo ne fonctionnera pas
Double effet
-Ce sont à la fois les attentes du patient et le conditionnement de la biologie qui provoquent l’effet placebo
-Interactions bidirectionnelles cerveau-immunité. Conditionnement pavlovien possible de l’immunité
-Applications: le patient peut s’auto-conditionner lui-même en ajoutant une procédure de son choix à la prise du médicament
-Les effets indésirables sont la cause majeure d’abandon des traitements. Intérêt du relai par un placebo ou intercaler un placebo d’apparence similaire au médicament pour améliorer l’observance
-Le placebo n’a plus besoin de se cacher. En avoir connaissance ne gêne pas son effet, sauf chez un “placebo-rétif”
Sensibilité ou rétivité
-Les gens sont inégalement sensibles à l’effet placebo. 1/3 très sensibles, 1/3 modérément, 1/3 insensibles
-Corrélation avec la connectivité du cortex préfrontal et au tempérament du patient: optimisme, suggestibilité et empathie pour le placebo; anxiété et pessimisme pour le nocebo
-Notion de “placebome”, implication de gènes directement liés à la dopamine, endorphines et endocannabinoïdes
-Mais le contexte prime. Importance du double effet : le conditionnement peut transformer un non-répondeur en répondeur
-Un avantage d’être “placebo-rétif” est se trouver mieux protégé des innombrables infox existant sur les réseaux
Neutralité
-La neutralité est de mise quand le patient exerce sur lui-même un bon effet placebo malgré des croyances fausses
-Neutralité chez les irréductibles, estimant que ces effets sont de la foutaise. Aborder le sujet peut bloquer l’effet placebo ajouté aux traitements validés, bien réel puisque lié au fait de suivre ses convictions.
-Neutralité prudente face à la personnalité nocebo systématique (patient qui fait tous les effets secondaires) « Ce traitement va certainement vous déclencher des problèmes, mais sait-on jamais ? Peut-être en tirerez-vous un minuscule bénéfice… »
Quel placebo choisir ?
2 cas de figure :
1) Amplification d’un effet biologique avéré.
2) Utilisation d’un placebo pur en l’absence de médicament actif connu.
Cas (1)
-L’effet adjuvant recherché est celui du « prendre soin ».
-La manière dont le patient perçoit l’impact du soin est essentielle.
-Sensibles à la parole, ou visuels (décor, présentation du traitement), ou tactiles (contact physique, massage)
-La présentation des symptômes guide celle du soin
Cas (2)
-Aucun effet biologique intéressant attendu d’un traitement? Pourquoi risquer les effets indésirables d’un produit actif ?
-Ce qui fait dire à Jean-Jacques Aulas : « Le placebo idéal est celui d’un médicament homéopathique, puisque, au-delà de la neuvième dilution hahnemannienne (9 CH), aucun moyen connu ne permet de différencier un granule imprégné —réputé actif— d’un granule non imprégné ». Verdict retenu par l’EASAC (Conseil des académies des sciences de l’Union européenne, Suisse et Norvège).
Une thérapie d’appoint
-Les placebothérapies ne sont pas des “médecines alternatives” mais des thérapies d’appoint
-Ne remplacent jamais un traitement démontré comme étiologique. Peuvent réduire sa posologie
-Bonnes alternatives à beaucoup de traitements classiques… quand ceux-ci sont eux-mêmes des traitements d’appoint
-Exemple des anti-inflammatoires très souvent prescrits pour leurs vertus antalgiques et non à but étiologique (l’inflammation est un processus normal)
Conclusion
-L’effet placebo repose sur la mise en concordance des représentations du patient avec l’effet biologique et la récompense attendue
-Double effet reposant sur les attentes conscientes et le conditionnement physique
-L’effet placebo est bloqué par l’absence de concordance, qui peut être le refus de croire à l’effet. Les croyances erronées sur les placebos sont péjoratives comme les croyances erronées sur les médicaments actifs
-Mais l’apprentissage au conditionnement peut contourner les croyances
-Les perspectives d’application médicale sont excellentes, à condition de personnaliser le placebo et d’éviter sa banalisation. Ne jamais faire du soin une routine
Bibliographie
Générale
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