Effets placebo et nocebo pour la pratique médicale (Introduction)

Abstract: L’effet placebo/nocebo a pris une importance nouvelle avec la réappropriation par l’individu de l’autorité sur sa santé. Cet effet provient en effet de la mise en concordance des représentations mentales du corps, de l’état physique objectif, et de l’effet attendu d’une intervention. La délégation des représentations mentales au médecin amputait l’effet placebo d’une partie de son pouvoir. Aujourd’hui le médecin doit élaguer son discours pour le renforcer, ce qui n’empêche pas de corriger les croyances erronées avec une éducation a posteriori. Il existe une catégorie d’affections imperméables à l’effet placebo/nocebo : ce sont les troubles de l’intégration corporelle, dont le plus connu est la fibromyalgie.

Un effet croissant

Toute intervention thérapeutique comporte un effet placebo ou nocebo. C’est un poncif. Une autre évidence est moins reconnue : ces effets prennent une importance croissante dans la thérapeutique. Pourquoi cette progression ? La première raison est que les gens ont récupéré l’autorité sur leur santé. Ils ajoutent un effet mental au traitement qui trouve sa pleine puissance, alors qu’elle était amoindrie lorsque l’autorité était déléguée au médecin.

La délégation faisait que le patient perdait en autorité sur lui-même et se plaçait dans un état de sujétion appelé ‘un malade’. Les gens ne sont plus des malades ; le terme est devenu dépréciateur. Ils sont ‘à risque’, ‘en dysfonctionnement’ ou ‘en souffrance’. Lorsqu’ils tombent dans une maladie chronique bien catégorisée, ils n’appartiennent plus à un état anormal mais à un groupe de personnes en situation particulière, groupe s’estimant volontiers en manque de reconnaissance. La frontière entre bonne et mauvaise santé a disparu, remplacée par une multitude de wokismes adossés à chaque maladie. Il semble naïf de dire “Je vais bien” avec la quantité de désordres occultes et d’agressions environnementales qui nous guettent. La raison commande de s’en soucier et un flux d’information continu vient alimenter ces préoccupations. Tout le monde devient le médecin de soi-même, son doctinaute. Déléguer un pouvoir aussi intime est désormais gênant.

L’autorité, c’est quoi ?

Qu’est-ce que l’autorité en matière de santé ? Un consensus. Plus il est large plus il est autoritaire. La méthode compte moins que l’étendue du consensus recueilli. La science fédère remarquablement car c’est une méthode qui conduit aux mêmes conclusions plus facilement que n’importe quelle autre. Encore faut-il que la méthode se répande. C’est le cas chez la plupart des médecins, pas dans la population générale. Comme l’autorité n’est plus déléguée les gens recentrent la leur sur des méthodes moins exigeantes, empreintes de religiosité et d’idéalisme à propos de la nature. Enrobées de recherches soigneusement sélectionnées, elles forment des pseudo-sciences très populaires.

La pseudo-science repose sur des convictions bétonnées par le fameux effet Dunning-Kruger, le biais de confirmation des idées déjà implantées. Tandis que la science repose sur le doute né de l’exhaustivité des données. De la conviction ou du doute, on devine qui l’emporte le plus facilement en matière d’autorité ! L’évolution finale de cette confrontation aboutit à un médecin disant “Je ne suis pas sûr” face à un patient affirmant “Je suis sûr”. Cela doit vous rappeler quelques souvenirs de consultation !

La science n’est plus le seul outil de la raison

Cette entrée en matière est importante car l’effet placebo repose entièrement sur la concordance des convictions du médecin et du patient, tandis que l’effet nocebo provient de leur antagonisme. Notez au passage que l’effet nocebo est proportionnel à l’antagonisme, donc à la conviction affichée du médecin. Face à un patient très convaincu il faut opposer un doute très léger, le seul qui puisse pénétrer son esprit. Si vous êtes sûr de l’effet nocebo d’un traitement, étant donné la personnalité du patient, abondez dans son sens pour le réduire. « Ce traitement va certainement vous déclencher des problèmes, mais sait-on jamais ? Peut-être en tirerez-vous un minuscule bénéfice… »

Le médecin n’ayant pas le temps de faire une rééducation scientifique dans le temps d’une consultation, l’essor des pseudo-sciences est assez catastrophique pour sa pratique scientifique. S’il prescrit aujourd’hui en bonne con-science —dans le cadre de la science consensuelle—, il sait également qu’il provoque un effet nocebo chez beaucoup de patients remontés contre cette science. Cet effet peut anéantir tout ou partie du résultat espéré. Cela jette même le doute sur la place de la science comme outil de la raison !

Un consensus gagnant

Pragmatiquement nombre de praticiens ont laissé les pseudo-sciences s’infiltrer dans leur pratique, avec un bénéfice indéniable. Au lieu d’un effet nocebo attendu de la prescription conforme au consensus scientifique, ils profitent d’un effet placebo d’une prescription adaptée au consensus avec le patient. Résultat gagnant pour une vaste gamme de pépins courants. Il faut le comprendre en effet dans le contexte d’une forte baisse des accidents graves de santé proportionnellement au nombre de consultations. Une majorité de motifs relève du mal-être, de la prévention, d’angoisses environnementales, de difficultés professionnelles, de surveillance d’une maladie stabilisée. C’est le traitement mental de la maladie par le patient qu’affronte aujourd’hui le médecin, et non plus la maladie elle-même.

L’importance de cette étape mentale explique l’importance des effets placebo et nocebo, qui lui sont directement reliés. Leur effet sur le cours des maladies est tout à fait authentique. La conscience ne connaît que son action de rétro-contrôle sur un cerveau doté de contrôles étendus sur la physiologie corporelle. N’ayant pas accès directement à ce tableau de bord, la conscience se juge inapte à agir sur la physiologie, autrement que par une intervention extérieure. L’absence d’effet placebo peut provenir bien sûr de l’absence de levier, mais aussi d’une conscience qui s’interdit de jouer d’un levier existant au prétexte qu’il s’agirait d’illusion ou de fumisterie.

Le cerveau aligné

Il est délicat pour nous de le reconnaître, mais l’esprit le plus rationnel qui exerce sur lui un traitement scientifique consensuel profite également d’un effet placebo lié à la concordance entre ses représentations mentales et l’action entreprise. Il met l’intégralité de son cerveau en ordre de marche, conscience et inconscient alignés. A contrario, lorsqu’il teste un produit sans effet biologique démontré, il s’interdit d’éprouver un effet placebo qui aurait pu lui être bénéfique.

L’effet placebo/nocebo est puissant dans certaines situations, inopérant dans d’autres, selon l’aptitude du cerveau à agir sur des cibles spécifiques de la physiologie. Toute fonction médiée par des neurotransmetteurs est susceptible d’être influencée. Le système immunitaire, que l’on a cru longtemps indépendant du nerveux, ne l’est pas complètement. Cependant le cerveau n’a pas la capacité d’intervenir au niveau d’échanges cellulaires dans les organes spécialisés. Il ne peut débarrasser le corps d’une tumeur ou régénérer un cartilage. Il lui est par contre aisé de faciliter l’endormissement ou diminuer une douleur, qui sont des analyses neurologiques de signaux biologiques.

Il existe donc d’excellentes indications au placebo et d’autres médiocres. Le placebo pur, vous le savez, n’est pas destiné à remplacer un médicament biologiquement efficace quand il existe. L’effet placebo est le traitement idéal des petits désordres de la vie courante, qui sont toujours des intrications psychosomatiques. Si votre diagnostic a cerné la bénignité biologique du problème, il doit donner lieu à une prescription active de placebo, ou confirmer les placebo-thérapies déjà utilisées par le patient, toujours à préférer parce que propriétaires. L’éthique de cette prescription est solide, à présent que l’on peut annoncer son caractère placebo en sachant ne pas nuire à son effet. Cependant une bonne placebo-thérapie ne se cantonne pas à tendre une ordonnance. Elle nécessite de rentrer dans l’univers du patient, s’ajuster à ses convictions en faisant preuve d’un minimum d’intérêt et d’empathie pour elles.

L’effet placebo est une concordance

Je redéfinis donc l’effet placebo ainsi : c’est la mise en concordance, chez le patient, des représentations mentales du corps, de la physiologie corporelle objective, et des modifications attendues d’une intervention. C’est l’objectif thérapeutique le plus complet pour le patient assisté dans cette voie par son médecin. La tâche était facile pour le médecin quand le patient lui abandonnait la responsabilité des représentations mentales de son propre corps. Le médecin n’avait qu’à les mettre en concordance avec sa science. Mais le patient s’est réapproprié ces représentations, avons-nous dit. Ce qui est une bonne chose sur le fond. C’est lui qui éprouve les sensations de première main, les informations à la première personne, disent les philosophes. L’inconvénient est que ses interprétations sont parasitées par des croyances et entrent en contradiction avec la science du médecin. Mettre en concordance demande alors, de la part du médecin, non pas une explication de science mais un discours élagué de manière à être recevable par le patient. L’effet placebo peut être obtenu pleinement, l’intervention obtient son résultat maximal. L’amélioration ouvre la porte de l’esprit du patient et c’est dans un deuxième temps qu’il est judicieux de corriger les croyances erronées du patient. Cette fois notre éducation thérapeutique est corroborée par le succès de l’intervention.

Penchons-nous un instant sur la 2ème partie de la mise en concordance : physiologie objective et modifications attendues de l’intervention. Cette partie semble plus facile puisque relevant de la méthode scientifique. Mais il faut avouer que notre connaissance de la physiologie reste très grossière. La plupart des traitements consistent à bousculer par une intervention simple un équilibre toujours complexe, dans un sens qui nous semble favorable par rapport aux symptômes présentés. Cette intervention n’est ni personnalisée ni vraiment ontologique, en l’absence d’un modèle détaillé de la personne. Comme pour les méthodes placebo, c’est le résultat qui compte ! Regrettons que la science médicale actuelle fasse juger le résultat exclusivement au niveau des cohortes et non des individus. Nous n’avons pas encore trouvé la méthodologie adaptée à l’individu, ce qui doit nous garder attentifs à ses impressions en première personne.

L’impuissance du placebo n’est pas là où on l’imagine

Où l’effet placebo montre-t-il ses limites ? Beaucoup de problèmes de santé proviennent du traitement de schémas mentaux simples par d’autres schémas plus complexes. La douleur chronique est rarement une nociception permanente, pour laquelle la médecine trouve des solutions efficaces. Plus souvent il s’agit d’un trouble du traitement mental de signaux périphériques restés longtemps perturbés. Le cerveau est mal informé de la guérison ou s’est installé dans une routine de maladie. Ici, la thérapeutique n’est plus de mettre en concordance des injonctions mentales et la physiologie corporelle, mais de corriger une perception faussée du corps. Le patient ne s’éprouve pas comme il le devrait mais s’éprouve néanmoins comme cela. Afin de se débarrasser de l’expérience pénible de la douleur, la conscience tient d’abord à la mettre en conformité avec l’état du corps. Elle se rebelle contre le médecin quand il ne déclare pas de dégâts justifiant un ressenti aussi pénible.

Ici la mise en conformité des représentations du patient et du médecin a conduit à créer des maladies qui ne sont ni biologiques ni psychiatriques mais intermédiaires : fibromyalgie, TDAH, hypersensibilité au gluten, Covid long —ces deux dernières affections sont à différencier de la maladie coeliaque et des séquelles physiques d’un Covid par la normalité des examens biologiques. On les appelle ‘maladies de société’ car elles sont liées à l’évolution des mentalités et aux nouvelles croyances sur le corps. Nous pouvons parler aussi de ‘trouble de la perception’. Mais le terme le plus éloquent est ‘trouble de l’intégration corporelle’. Il existe une vraie discordance entre l’expérience consciente et l’état corporel objectif.

Un effet placebo est impossible dans un tel contexte. La conscience ne veut pas agir dans le sens d’une amélioration physique. Elle veut au contraire qu’on lui annonce une dégradation. Il n’y a qu’ainsi qu’elle peut récupérer une sensation d’appartenance au corps (malade). Sinon elle s’y sent étrangère, avec son expérience douloureuse déconnectée d’un corps annoncé sain. Heureusement si l’effet placebo ne peut fonctionner, l’effet nocebo non plus. Sans concordance entre la représentation consciente et l’état corporel, l’effet nocebo ne passe pas. Nous pourrions imaginer qu’avec la richesse de maladies que la fibromyalgique se soupçonne, elle s’en crée réellement. Mais non. Elle reste en bonne santé physique. À un point étonnant. Les incessants effets secondaires déclenchés par des efforts thérapeutiques inutiles sont de purs ressentis mentaux et non des dégâts corporels. La fibromyalgique n’est pas suicidaire. Dans son cerveau se côtoient les perceptions corporelles exactes et les fausses interprétations. Les secondes n’éliminent pas les premières.

Proposer son propre alignement

Nous voyons, à travers de l’exemple de ces troubles de l’intégration corporelle, que la cohérence de l’univers mental du patient est plus importante que ses connaissances scientifiques. C’est là où le travail du médecin est devenu délicat. Si le patient lui retire l’autorité il ne peut plus influencer cet univers. Entrer en contradiction avec lui est risquer de déclencher un effet nocebo. Si le médecin se sent impuissant, le mieux pour lui est de ne pas intervenir, à condition qu’il s’agisse de troubles légers. Ou bien il peut recourir aux médecines alternatives, dotées de fort effet placebo. Si une intervention classique est indispensable parce que la maladie le réclame, alors le discours doit être du type : « Si j’étais à votre place, voici ce que je ferai pour moi ». Ainsi il n’est pas question de rejeter l’univers du patient mais lui proposer de s’en approprier librement un autre, celui que le médecin s’est construit lui-même en tant que patient et non plus en tant que symbole de science ou d’intérêt pharmaceutique.

Le spécialiste semble moins touché que le généraliste par le retirement de l’autorité, et se sent moins enclin à prescrire des placebos. Il ne faut pas qu’il croit son discours plus convaincant pour autant. Son autorité provient des examens mécanisés qu’il pratique et interprète plus fréquemment. Ces résultats se mettent facilement en concordance avec l’esprit du patient, quelles que soient ses croyances, parce que les machines sont considérées sans opinion, consensuelles par réalisme objectif. Les machines exercent donc, paradoxalement, un effet placebo très fort dans l’esprit des gens. Un traitement adossé à un examen technique est mieux observé qu’une prescription fondée seulement sur l’opinion du médecin. C’est l’une des raisons de la multiplication des examens complémentaires. Souvent facultatifs pour le diagnostic, mais renforçant l’effet placebo du traitement.

La conclusion est un peu inquiétante

Les gens vont prochainement être très sensibles au diagnostic des IA médicales. Leur avis seront opposables au diagnostic du médecin. Tout traitement qui contredirait un tel avis déclenchera un effet nocebo, et réciproquement les actions thérapeutiques confirmées par des IA seront des gardes-fou essentiels pour les médecins, qui doivent s’approprier sans tarder de tels outils, pour y rentrer les données personnelles de leurs patients et corriger les éventuelles bêtises à la sortie.

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