Diagnostic des douleurs articulaires: arthrite, arthrose, fonctionnalité

Suivons le fil conducteur ébauché dans l’article précédent, le ‘diagnostic multi-étagé’. Il consiste à commencer l’enquête sur les douleurs articulaires au niveau le plus fondamental géré par la médecine, le complexe génétique/immunité —nous n’irons pas jusqu’aux interactions particulaires!—, puis remonter la complexité des organisations biologiques.

Arthrites

La catégorie articulaire qui démarre du plus bas est celle des arthrites auto-immunes, avec des déterminants génétiques. Système immunitaire déréglé, qui fabrique des auto-anticorps. Attention la présence de ceux-ci est relativement banale à taux faible. Même à taux élevé, elle ne déclenche pas forcément une réaction inflammatoire. Celle-ci naît d’une cascade d’amplifications. Elle se manifeste par une biologie et une clinique évocatrices, démontrant l’agression. Tableau proche d’un syndrome infectieux à bas bruit mais la cible n’est pas un microbe, c’est la synoviale, qui devient empâtée, hypersécrétante.

Le diagnostic d’arthrite auto-immune demande donc la présence conjointe d’un syndrome inflammatoire biologique. L’expression clinique est plus variable et peut se cantonner à des arthralgies ou l’atteinte d’autres organes. Des anticorps anormaux isolés font le diagnostic de ‘terrain auto-immun’, susceptible de se décompenser ultérieurement. A taux faible: abstention thérapeutique. A taux élevé: certains commencent préventivement du Plaquenil 1/j étant donné la faible iatrogénicité du produit.

On différencie les arthrites réactionnelles, auto-immunes et métaboliques.

1) Réactionnelles

Agression tissulaire liée à la présence de fragments bactériens intra-cellulaire. Pas de vraie auto-immunité. Arthralgies asymétriques, migratrices, très douloureuses contrastant avec la discrétion des signes locaux inflammatoires. Associer AINS à dose maximale et corticoïde à dose moyenne. Amélioration en quelques mois.

2) Auto-immunes

Selon le type de sensibilisation immunitaire: rhumatisme articulaire pur (PR) ou multi-organes (connectivites) avec des chevauchements. Le traitement doit freiner le plus vite possible cet emballement immunitaire, en avançant rapidement sur les paliers de blocage : corticoïdes, MTX, biothérapies. Les rémissions rapides suivent des contrôles précoces de la maladie.

Les arthrites inflammatoires sont sensibles à des doses modestes de prednisone (≤15mg/j), ce qui est discriminant avec l’arthrose (qui n’est soulagée qu’à forte dose).

Sous-groupe des maladies auto-inflammatoires: SPA, plus génétique (B27), fondée sur l’immunité innée, moins générale (pas d’atteinte d’organe), pas de poussée aiguë mais pas de rémission complète non plus. Rapport bénéfice/risque des biothérapies moins favorable en l’absence de complications graves.

3) Métaboliques

Réaction inflammatoire contre microcristaux, épisodes aigus et brefs, peut simuler une PR quand les dépôts sont diffus (pseudo-polyarthrite goutteuse) seulement chez l’adulte mûr. Fréquence d’une sérologie rhumatoïde faiblement positive chez le goutteux, association avec la PR possible, mais obtenir d’abord un bon contrôle de la goutte avant d’envisager cette option.

Arthrose

L’arthrose est l’altération du cartilage, organe de revêtement articulaire, sorte de gélatine armée de fibres qui lui donne une consistance de pneu. Son auto-entretien décline. Les fibres altérées mécaniquement se reconstituent lentement. Si le cartilage se ramollit, les frottements en arrachent des lambeaux. Des fissures plus profondes se forment lors des dérapages articulaires (mouvements en torsion).

Génétique et immunité ne sont pas concernés directement. La biologie est normale. Causes intriquées : sénescence des chondroblastes, moindre viscosité synoviale, plaque sous-chondrale limitant la nutrition du cartilage, surpoids (l’épaisseur du cartilage s’adapte à une prise de poids pendant la croissance mais pas après), gestuelle stéréotypée surmenant toujours les mêmes sites.

Traitement fondé essentiellement sur l’hygiène de vie articulaire. Un cartilage se répare sous l’effet des stimuli mécaniques (mécanorécepteurs dans les chondrocytes). Mouvement mais pas écrasement. Viscosupplémentation et PRP en appoint (les 2 semblent synergiques). Aucun effet démontré des anti-arthrosiques de fond mais les placebos ont des effets antalgiques réels. Cures thermales: secouent efficacement l’hygiène de vie.

Fonctionnalité

Cette catégorie regroupe les dysfonctionnements articulaires, hyper ou hypotonies musculaires, troubles de la perception en particulier la fibromyalgie.

Dysfonctionnements, dérangements ou “blocages” articulaires

Douleurs pénibles, diffusantes, peu sensibles aux AINS et antalgiques habituels, énervement plutôt qu’anxiété, aucune altération de l’état général. Examen clinique atypique avec richesse de disesthésies, hyperesthésie contrastant avec l’absence de signes à l’inspection, logorrhée de symptômes. Examens complémentaires banals pour l’âge, beaucoup d’attributions de douleurs à des arthroses courantes et préexistantes à l’épisode. Beaucoup de dérangements surviennent sur une articulation arthrosique habituellement indolore. Différencier la raideur douloureuse de la raideur insensible.

Royaume de l’ostéopathie et autres médecines physiques, longtemps considérées comme anti-scientifiques, mais il faut séparer les techniques et les théories. L’ostéopathie a débuté en même temps que la médecine, avec d’excellents mécaniciens du squelette, mais a manqué d’ingénieurs. Beaucoup d’explications fumeuses ont accompagné des techniques efficaces. Il faut ramener l’ostéopathie dans le giron médical pour éviter les dérives et améliorer la reproductibilité des techniques. Défaut de notre médecine expérimentale classique : les méthodes veulent s’affranchir de l’opérateur or celui-ci est central dans la pratique et le résultat du traitement manuel. Ne pas faire confiance aux études universitaires sur l’ostéopathie, pas plus qu’à celles sur la rééducation. Ce sont des couples patient-thérapeute qu’il faut analyser et non des cohortes.

Diagnostiquer les dérangements articulaires demande une excellente connaissance de l’anatomie et de la neuro-anatomie. Les douleurs référées / projetées sont la norme : le site douloureux n’est pas le site de la lésion. Il peut néanmoins être ciblé par le traitement : techniques de contre-stimulation sur les terminaisons nerveuses. Tandis que les techniques directes ciblent l’articulation elle-même.

Le dérangement articulaire doit être vu comme un arc réflexe pathologique : dysfonctionnement articulaire (surfaces collabées et/ou décentrées, franges synoviales incarcérées) – irritation innervation capsulaire – contracture para-articulaire – mauvaise posture pérenne. Le traitement peut intervenir à n’importe quel endroit de cet arc : mobilisation articulaire directe, relâchement de la contracture musculaire, sédation du nerf à sa racine, contre-stimulation à sa terminaison (mésothérapie, acupuncture, électrothérapie, thermothérapie, patch lidocaïne).

Hyper et hypotonies musculaires

Hypertonies du sujet âgé (hypertonie extrapyramidale sénile, Parkinson): favorisent les troubles de fonctionnement et les contraintes articulaires statiques. Prise en charge physique difficile avec le tonus musculaire invincible et la proprioceptivité très altérée.

Neurotoniques de tous âges: patients “nerveux”, mouvements frénétiques, mal exécutés, conflits faciles, douleurs installant immédiatement des contractures excessives -> pérennisation des dysfonctionnements. Le traitement de fond est l’activité physique de loisir régulière. Il faut “épuiser” ces centrales énergétiques…

Fibromyalgie et seuils de la douleur altérés

Nous continuons à grimper l’échelle de complexité jusqu’au traitement neural de la douleur. Ici c’est la perception qui est en cause. Les douleurs éprouvées, insupportables, ne concordent pas avec la normalité ou la banalité des examens cliniques et complémentaires. L’hyperesthésie est générale. Le diagnostic classique de la fibromyalgie comporte la réactivité des points tendineux à la pression, mais ces points sont sensibles même chez le sujet normal (pressez-vous fortement l’épicondyle pour vérifier). Il s’agit bien d’une sensibilité globalement augmentée à tout stimuli. Conséquence: une perte de contraste entre les stimuli pauci-douloureux et hyper-douloureux. La douleur n’est plus discriminante, n’indique plus l’intensité de la lésion. Douleur-information devenue douleur-maladie.

La fibromyalgie est un état perceptif anormal, non une maladie biologique, ni un problème conscient (la douleur n’est pas simulée). Mauvaise communication entre signaux sensoriels et interprétation consciente. À ne pas psychiatriser, à ne pas “biologiser” non plus. Les traitements médicamenteux sont inefficaces. Nécessité de rééduquer les sensations avec des stimulations plaisantes plutôt que chercher à bloquer une douleur qui est surtout centrale, sans origine lésionnelle, sensible seulement aux psychotropes (avec leurs effets indésirables mal supportés parce que la conscience s’estime ‘en bonne santé’, contrairement aux porteurs de névroses et psychoses).

En tant qu’état sensoriel altéré, très fréquent (jusqu’à > 10% de la population dans certaines études, sans doute davantage depuis la pandémie), la fibromyalgie peut compliquer n’importe quelle maladie physique habituelle, simuler ou majorer une polyarthrite. Les dysfonctionnements vertébraux prennent des proportions exagérées -> confondus avec une spondylarthrite.

La principale complication de la fibromyalgie est la surenchère médicale, d’examens et de traitements inutiles, surtout avec l’important nomadisme médical de ces patientes. Cependant l’étiquette fibromyalgie ne doit pas non plus servir de diagnostic à tous les troubles. Il faut être attentif aux plaintes inhabituelles chez une fibromyalgique. Bien qu’il s’agisse de patientes difficiles, il faut essayer de les fidéliser et les motiver à différencier leurs douleurs « normales » des autres pour cibler les examens productifs.

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Cet article passe en revue les problèmes les plus courants et n’est pas une liste exhaustive des causes de douleurs articulaires.

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