Dormir à deux ou séparés ?

Science paradoxale

Deux tendances nouvelles sont apparues récemment dans les études sur le sommeil, dont les recommandations se contredisent. Il n’y a plus seulement du paradoxal dans le sommeil, mais dans la science du sommeil aussi !

D’une part la presse se fait l’écho d’un travail sur les souris paru dans Current Biology : Les souris cherchent à se blottir contre leurs congénères avant de dormir, néanmoins cette proximité physique fragmente davantage leur sommeil (non paradoxal). Ce qui implique que les souris seraient prêtes à sacrifier un sommeil tranquille pour le plaisir du contact. Mais Louise Guyonnet dans Science&Vie (qui n’est malheureusement plus la revue de référence qu’elle était en matière de vulgarisation) en fait « de nouveaux arguments pour les bienfaits de la séparation nocturne », avec cette conclusion : « Pour préserver votre sommeil, vous devriez donc éviter de partager votre lit. Le choix vous appartient ! ».

D’autre part l’historien américain Roger Ekirch montre dans ‘La Grande Transformation du sommeil’ que dormir d’une traite toute la nuit est une habitude récente. Avant le XIXe siècle, il était considéré comme normal de se réveiller au milieu de la nuit. Cette plage d’une heure ou deux était utilisée pour écrire, méditer, échanger des nouvelles ou faire l’amour si le conjoint s’éveille en même temps. Dans la foulée d’Ekirch des études scientifiques confirment que le sommeil interrompu est une modalité normale chez l’humain.

Interrompre son sommeil a des avantages

En réunissant tout cela nous en concluons que dormir à deux gêne la belle continuité du sommeil mais aussi que l’idée de faire reposer la qualité du sommeil sur cette continuité est un dogme récent. Ekirch l’attribue à l’éthique capitaliste de la révolution industrielle et à la généralisation de la lumière artificielle. Il fallait comprimer le temps de sommeil, ce qui a fait repousser le coucher et avancer le lever. Plus de place pour l’improductif éveil entre deux sommeils. Le sommeil fut rationalisé au point de créer une nouvelle maladie, l’insomnie, inexistante avant le XIXe siècle, maladie « où se télescopent de manière douloureuse l’éthique nouvelle du dormeur productif et l’éthique antique du dormeur méditant », regrette Martin Legros dans Philomag. Il invite avec Ekirch à dépathologiser l’insomnie.

L’approche évolutive abonde dans ce sens. L’humain n’a pas été sélectionné pour dormir comme une masse pendant huit heures d’affilée. Il aurait été une proie plus facile pour les prédateurs. Nos périodes de semi-éveil entre les phases de sommeil profond jouent ce rôle essentiel : vérifier que les conditions sont favorables pour retourner vagabonder dans les rêves et consolider les structures mémorielles ajoutées par les épisodes de la journée. Accessoirement le semi-éveil permet aussi de changer de position, éviter qu’un nerf ou une articulation se retrouve détérioré par une compression prolongée. Que le sommeil profond survienne par cycles d’1H30 à 2H n’est pas un hasard.

Malade ou anxieux?

Certes enchaîner d’une traite les 3 à 4 cycles de sommeil profond qui nous sont nécessaires fait gagner globalement du temps. Émerger peu fait replonger plus vite. Les phases d’endormissement et d’éveil progressif sont les moins utiles et gagnent à être raccourcies. Cependant la plupart des gens dépourvus de problème de sommeil organique (n’ayant pas de maladie physique perturbant le sommeil) s’endorment et se réveillent très rapidement, y compris en plein milieu de la nuit si un bruit les a dérangés. On pourrait dire qu’on ne perd aucun temps à trouver le sommeil quand on a une bonne raison de le faire.

L’anxiété est un problème indépendant des maladies organiques. L’excès de stress est un dysfonctionnement psychologique et non une maladie physique. Il se traite en analysant les raisons de cette anxiété, en prenant la parole avec soi-même. Le réveil nocturne peut être un moment judicieux pour le faire… à condition de prendre le contrôle de la situation. Ne pas subir l’insomnie. La rendre productive. Percer les bulles d’anxiété avec lesquelles on s’est endormi et regarder ce qu’elles contiennent. Prolonger les histoires qu’elles racontent et les orienter vers des fins plus digestes.

Alors on découche ou pas?

Qu’en retenir en pratique pour le couchage ou découchage du couple ? Avant tout protégez-vous des discours mielleux des revues psycho et autres influenceurs dont le but est surtout de faire de l’audience diurne autant que nocturne ! La bonne santé n’est pas ce qu’on lit mais ce que l’on perçoit en soi. Le pire est de remplacer ces perceptions intimes par une auto-observation naïve et pervertie par les infox dont le net abonde.

Dormir à deux est d’abord l’expression d’un désir. C’est bien ce que montre l’étude dans Current Biology : les souris apprécient de se pelotonner les unes contre les autres, et ce plaisir outrepasse largement les inconvénients d’un sommeil moins continu. Il serait dommage de rater les évènements nocturnes les plus intimes. Certainement sont-ils les meilleurs traitements de l’anxiété, dépourvus de tout effet secondaire (je place bien sûr la fertilisation dans les effets primaires 😉

Partager la même couche n’interdit jamais à celui qui perturbe l’autre ou se sent perturbé par lui de partir dormir ailleurs. Organisez-vous pour que ce soit facile et confortable, que celui qui découche n’en tire aucun inconfort ou sensation de brimade. Ainsi ne garde-t-on que le plaisir de la fusion dans notre cercle social le plus intime, sans les inconvénients, et s’affranchit-on des déplaisants diktats individualistes qui fleurissent en toute saison dans nos champs d’information.

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La Grande Transformation du sommeil, Roger Ekirch
À la recherche du sommeil perdu, Martin Legros dans Philomag

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