La spécificité des traitements chez la femme
Vous écouterez avec profit ce podcast de Pour la Science sur la place négligée de la femme dans la recherche médicale. Avec profit car les données exposées sont passionnantes. Mais cette écoute me laisse désespéré. Quand les interprétations sont aussi militantes, le wokisme laisse ses auditrices avec leurs inquiétudes, qui s’amplifient les unes montées sur les autres. L’enthousiasme charmant de la chercheuse, qui veut rendre les plus grands services à l’humanité, fait exactement le contraire.
Remontons à une grande controverse plus ancienne sur une spécificité de la femme : le traitement hormonal de la ménopause. Jusqu’en 2002 une substitution était couramment prescrite pour effacer les symptômes de cette interruption hormonale brutale, connus pour leur pénibilité, incluant des troubles cognitifs à présent bien identifiés (perte de mémoire et d’attention), heureusement régressifs dans 90% des cas. Le courant wokiste naissant a présenté ce traitement comme dangereux et injustement systématique, prescrit en raison d’une connivence entre laboratoires et gynécologues. C’est ensuite la réputation d’un traitement mortifère qui a été apportée par l’étude américaine WHI, avec l’augmentation des cancers du sein et des accidents thrombo-emboliques.
Retour du vieillissement brutal
Le recours à ce traitement s’est effondré. De tout blanc il est passé à tout noir. Réputation de noirceur pourtant infondée. Les cancers plus rapides à se déclarer ont été découverts et guéris plus tôt parce que les femmes traitées étaient mieux surveillées. Il n’y avait pas de surmortalité dans l’étude WHI. Les cancers du côlon étaient même plus rares. De plus les américains utilisaient de puissants oestrogènes oraux connus pour ces complications, alors que les traitements percutanés en France ne sont pas concernés.
Le traitement substitutif avait effacé la ménopause d’une génération de femmes. Vieillissement moins pénible. Elles ont aussi échappé à l’épidémie de fractures ostéoporotiques attendue avec l’allongement de leur vie. Mais c’est fini depuis le début du siècle. Les générations suivantes, elles, ré-expérimentent les inconvénients de la ménopause en ayant peur de leur prise en charge, pourtant plus brève et accompagnante qu’auparavant. Le wokisme féminin leur a-t-il rendu service en les surinformant des dangers des hormones ?
Nouvelle affaire d’hormones
La même inquiétude me saisit en écoutant “Pourquoi femmes et hommes sont inégaux face aux maladies?”. Le discours de la généticienne Edith Heard, invitée de Pour la Science, est biologiquement très bien informé mais psychologiquement naïf et dévastateur. Heard pointe un problème bien réel : la spécificité féminine n’a pas été assez prise en compte dans la recherche. Mais elle débouche sur une interprétation bien stupide : les femmes ne verraient pas leurs particularités reconnues dans la prise en charge médicale quotidienne.
Ville et hôpital
Pour comprendre le sujet, il faut connaître l’arrière-plan qui sépare médecine hospitalière et médecine de ville. L’hôpital, dès sa création dans l’Antiquité, a été un centre de recherche autant que de soin. Son rôle est de faciliter la catégorisation des malades. Il a toujours été plus facile de faire un diagnostic à l’hôpital qu’en ville. Ce n’est pas seulement une question de moyens techniques. Les malades effacent leur personnalité dans un cadre clinique et standardisé. Entre quatre murs blancs ils montrent tous des symptômes identiques pour une même maladie, alors qu’à la maison ils les expriment à leur façon.
L’hôpital est donc un lieu de normalisation, de catégorisation. Des désordres diversifiés par la personnalité des malades sont regroupés sous un seul nom, celui d’une grande maladie adossée à des symptômes et des anomalies physiologiques. L’hôpital fait confluer les multiples versions d’une maladie en une seule référence.
Le rôle de la médecine de ville est entièrement différent. À partir des grandes catégories délimitées par la recherche hospitalière, il s’agit à présent de personnaliser la prise en charge du malade. Va-t-il réagir comme prévu au traitement habituel ? En cas d’effets secondaires, faut-il l’adapter ou l’abandonner ? Les effets secondaires sont-ils vraiment liés au produit ou générés par la lecture de la notice ? Pour s’en sortir, le médecin traitant doit bien connaître la personnalité de son malade, et idéalement il lui faudrait savoir le détail de sa physiologie, ce qui viendra peut-être avec les cartes génétiques, qui vont bien au-delà du typage sexuel.
C’est loin d’être réalisable aujourd’hui, si bien que le médecin de ville écoute son malade et adapte empiriquement ses traitements aux résultats positifs et négatifs, avec le souci à la fois de guérir et ne pas nuire, qui sont deux objectifs différents.
Vous avez peut-être reconnu dans ce tandem médecine hospitalière/médecine de ville le couple induction/déduction. L’induction est la direction du raisonnement qui fait passer des cas particuliers à l’universel, tandis que la déduction est la formulation de propositions particulières à partir des lois générales. La recherche hospitalière est le lieu de l’induction médicale, où sont définies les maladies universelles, et la médecine de ville est l’endroit de la déduction, où les pathologies sont déclarées comme des cas particuliers de ces maladies.
Tous humains et tous différents
Revenons aux femmes. Sont-elles une catégorie à part ? Certes, elles ont deux chromosomes X alors que l’homme a un X et un Y. Cela n’en fait pas deux espèces différentes. En effet l’un des X est presque complètement inactivé chez la femme —ce sont d’ailleurs des défauts de cette inactivation qui causent la prédominance féminine de certaines maladies, explique très bien Heard. Tandis que sur le Y masculin très peu de gènes sont actifs.
La différence suffit à créer des écarts hormonaux francs, résultant en différentiation sexuelle. Cependant à l’intérieur de ces sexes morphologiquement contrastés, les différences entre femmes, ainsi qu’entre hommes, sont également importantes. Certains hommes ont une apparence plus féminine et certaines femmes plus masculines. La frontière entre les sexes n’est pas si tranchée, sauf en opposant la plus pulpeuse des XX au plus viril des XY.
Il est amusant de voir comment le féminisme militant met les différences femmes/hommes à l’avant-plan ou à l’arrière-plan selon le contexte. Il faut les masquer parce qu’elles ont un effet néfaste dans la culture patriarcale mais il faut les exacerber dans les affaires médicales, parce que cette fois c’est négliger ces différences qui a un effet néfaste. Être ou ne pas être femme, là est la question, devenue difficile. Les féministes passent des nuits agitées, y compris à présent dans le monde de la science, qui aurait du en être préservé.
Recherche et application, deux directions
La science en effet se préoccupe de processus. Elle ne fait pas d’idéalisme culturel. Quand l’hôpital regroupe les cas personnels en grandes maladies, ce n’est pas pour cloner les malades mais pour mieux comprendre les mécanismes de leurs affections. La recherche hospitalière est une direction, celle de l’induction. C’est le sens de la prise en charge médicale qui va du micromécanisme vers la maladie résultante. Direction homogénéisante. Les gènes sont regroupés en chromosomes, eux-mêmes regroupés en espèce. Tous les individus sont tenus finalement comme humains, femmes et hommes mélangés. Les points de concorde sont assez nombreux pour que l’homogénéisation tienne la route. C’est en formant de grandes catégories qu’on a pu tester des traitements et les standardiser. L’anarchie médicale a diminué.
La médecine de ville est l’autre direction, celle de la déduction. À partir des catégories et leurs traitements, elle retourne vers les individus. Au lieu de les regrouper elle les sépare. Il s’agit de personnaliser la prise en charge, d’écouter le ressenti de chaque patient. L’hôpital induit des généralités, la ville déduit des particularités.
Critiquer au bon endroit
Si la médecine doit être critiquée, c’est pour la médiocre coordination entre les deux directions. L’enseignement du centre hospitalier universitaire concerne les catégories. La personnalisation fait l’objet d’un apprentissage sur le tas. Notez que nous avons tous, en tant que patients, une conscience aiguë de la différence. Nous faisons davantage confiance à l’hospitalier pour nous placer dans la bonne catégorie de maladie, et au médecin de famille pour en personnaliser la prise en charge.
Par contre accuser la médecine de négligence envers les femmes c’est ne l’avoir jamais exercée. Les femmes ne sont pas plus oubliées que quiconque dans leur spécificité, pas mieux servies non plus. Un homme est inégal à un autre homme, par bien davantage de gènes que ceux des chromosomes X et Y. Malgré cela ils ne sont pas davantage départagés dans les études que les femmes face aux hommes. Il existe probablement des partages à faire plus importants que celui des sexes. Et heureusement le partage le plus essentiel pour la recherche est acquis depuis longtemps : on ne traite pas les enfants comme les adultes.
Chute de confiance
Les femmes ont été sans doute négligées dans les cabinets médicaux, par le passé, pour des raisons d’inégalité culturelle et d’indifférence masculine chez les médecins. Ces raisons n’ont plus cours en France depuis longtemps. Une grande proportion des patientes que je croise se sentent même davantage en confiance avec un médecin masculin que féminin. Les hommes sont souvent mieux conscients des particularités féminines que les femmes elles-mêmes, et vice versa. Une femme n’est en tout cas pas moins écoutée qu’un homme dans ses déclarations spécifiques à propos des traitements qu’elle reçoit. Ces traitements font l’objet d’une adaptation individuelle.
C’est dire que si la recherche ne prend pas encore assez en compte les différences liées au sexe, la pratique médicale quotidienne le fait depuis longtemps. Les femmes font l’objet d’une personnalisation de la part de tout médecin attentif. Il est dommageable que le militantisme gagne les discours scientifiques, ce qui peut entraîner une chute de confiance injustifiée pour les femmes se présentant dans les cabinets. La démarche est toute différente entre écrire un article spécialisé à destination des chercheurs et faire une conférence pour le grand public.
Des approximations plus litigieuses
Le plus ironique dans l’emportement de Heard est qu’elle cible son propre métier, qui est de catégoriser, d’approximer ensemble des individuations différentes dans le détail. De fait, l’induction est bien une négation de l’identité individuelle, qu’il faut restaurer ensuite. C’est pourquoi la médecine a besoin de ces deux directions, induction/généralisation et déduction/personnalisation. La recherche et le soin sont deux activités différentes. La patiente en Heard se rebelle contre la chercheuse.
Notez enfin qu’il existe des approximations bien plus litigieuses que de mélanger hommes et femmes, qui sont tout de même une seule espèce. La recherche fondamentale utilise des cobayes animaux. C’est-à-dire qu’elle approxime ensemble humains et cobayes au sein du genre mammifère, dans lequel se déroule la recherche. Et la “personnalisation” tirée ensuite des résultats consiste à donner à l’humain un médicament efficace chez l’animal. Les premiers humains soumis à ces tests courent des dangers incomparablement supérieurs aux femmes recevant des médicaments testés chez l’homme.
Le mélange des races
Une autre approximation, largement répandue, est le mélange des races. Certains chercheurs affirment superbement que les races n’existent pas dans la génétique. Ils ne regardent pas au bon étage. Soumis à des pressions culturelles, ils décident de ne voir effectivement aucun agencement précis de gènes correspondant à la notion de race. Nous faisons tous partie d’une même espèce. Mais ce qu’ils regardent n’est que la fondation de notre complexité génétique puis physiologique. Au sommet de cette complexité, curieusement, des caractéristiques physiques et des maladies particulières se sont révélées, spécifiques d’ethnies et de régions géographiques. Comment l’uniformité génétique apparente est-elle devenue une mosaïque ethnique ? Les gènes ne s’organisent pas au hasard. Ils forment une série d’étages de complexité physiologique. C’est dans ces étages que la notion de race se précise.
Ainsi avons-nous une physiologie vraiment racisée, et nos maladies sont de même plus fréquentes selon l’ethnie, voire parfois exclusives à certains groupes humains. Ce critère est reconnu depuis longtemps par la médecine. Il est plus important que les différences entre femmes et hommes, car tous les chromosomes sont impliqués et pas seulement le X. Pourtant la recherche insiste peu sur les différences raciales, qui gênent un certain bien-pensant égalitaire culturel. Les prendre correctement en compte nécessiterait des investissements majeurs, car il faut multiplier les recrutements, alourdir les coûts, allonger les durées des études. Avec des retards pour les mises sur le marché. Des patients qui attendent. Des investisseurs moins intéressés.
Répartir intelligemment les moyens
Alors séparer les femmes des hommes n’est pas non plus gratuit, et n’est pas forcément le critère catégoriel le plus intéressant. Ayons conscience qu’un traitement, à ses débuts, est toujours une approximation, très grossière puisqu’elle consiste même à amalgamer l’humain à des animaux cobayes. Quand l’intérêt général de ce traitement est avéré, les investissements affluent. Les applications sont alors précisées dans des catégories plus fines, jusqu’à l’individu si c’est possible.
Mais je n’ai pas entendu ces nuances chez Heard. La féministe a fait taire la chercheuse. Les cercles ‘féministe’ et ‘scientifique’ ne font pas bon ménage. Le féminisme est en fait un cercle qui ne s’intéresse pas aux femmes individuellement. C’est un cercle entièrement artificiel. Il inclue automatiquement des personnes classées ‘femmes’ mais qui n’ont pas demandé à être intégrées au cercle ‘féministe’, et qui peuvent être pénalisées par lui. Le cercle artificiel n’est pas le cercle naturel. Les justes combats entrepris par le féminisme concernent la place culturelle de la femme. Qu’ont-ils à voir avec la médecine, qui concerne la biologie féminine ? Même si la femme était réellement objet de négligence dans les soins médicaux, ce serait un travail pour les associations de soutien des patients, au même titre que les handicapés, les maladies rares, etc.
Être dans un groupe victimisé ou être soi?
Prenons l’exemple de la goutte en Nouvelle-Calédonie. Il s’agit d’une goutte particulièrement fréquente et sévère qui touche presque exclusivement les hommes. Elle justifie une enquête spécifique qui est en cours. A-t-elle nécessité l’intervention d’une « association de défense des hommes » ? Non. Seulement l’initiative d’un chercheur étonné par cette singularité calédonienne. De même les traitements proposés aux femmes qui ne semblent pas fournir les résultats espérés, pourraient-ils faire l’objet d’une enquête spécifique sur la physiologie féminine dans ce contexte précis. Mais faire croire que la femme est globalement objet d’une vaste négligence dans la recherche médicale et qu’il faut désormais faire des études systématiquement dédiées à son sexe, c’est du militantisme et non de la science pragmatique.
Cessons d’entretenir et d’amplifier un statut victimaire chez la femme. Les femmes sont des individus comme les hommes, et c’est que chacune soit un exemplaire unique qui doit guider la déduction efficace en médecine.
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