Comment vaincre son mal de dos ?

La lecture rapide du livre de Philippe Bazard me pousse à un nouveau post sur le sujet. Les réductions opérées par les profanes sont stupéfiantes. Bazard me rappelle Freud, qui a voulu faire de son complexe d’Oedipe le moteur du dysfonctionnement névrotique de l’inconscient. Bazard, lui, fait du stress et de l’anxiété le moteur du mal de dos. Dès lors, levez-vous. Soyez un guerrier ! Il suffit de s’en débarrasser pour retrouver un dos indolore. Quoi ? Ce n’est pas trop le profil de l’anxieux ? Ne cherchez pas des excuses. Prenez votre destin en mains. Dures ou molles ? Alternez ! Alternez !

Si vous ne devez retenir qu’une chose de l’origine du mal de dos, c’est qu’elle est multi-étagée. Multi-étagé c’est multi-factoriel, mais les facteurs ne se mélangent pas au même niveau. Ils occupent des étages indépendants : biologiques, anatomiques, neurologiques, psychologiques inconscients, conscients, sociaux.

Leur indépendance n’est que relative. Par exemple l’éducation parentale, facteur social, a une influence majeure sur le développement physique de l’enfant. Poussé ou non dans les sports, il aborde l’âge adulte dans un corps très différent. Comprendre son mal de dos, c’est analyser les causes étagées mais aussi construire l’historique. La dimension temporelle est la plus importante. Il y a eu un ‘avant’ au mal de dos. Définissez-lui arbitrairement un ‘après’. Entretemps, que s’est-il passé ?

Bazard commence par dénigrer les niveaux biologiques et anatomiques. Pour lui seulement 10% des maux de dos ont des causes réellement physiques. Méta-analyses à l’appui. Le problème est que même respectueuses des règles statistiques ces méta-analyses ne valent rien. Les études ne sont pas adaptées aux affections multi-factorielles. Leur puissance statistique s’effondre dès que le nombre de critères augmente. Si en plus on ne peut pas les mélanger pour cette histoire d’étages ! Les mêmes méta-analyses ne trouvent aucune efficacité à la rééducation, l’ostéopathie, la radiologie interventionnelle, la chirurgie. Ces techniques parfois coûteuses et agressives ne serviraient donc à rien ? Malgré d’excellents résultats individuels ? Pourquoi n’émergent-ils pas dans les chiffres ? Principalement parce qu’aucune étude n’a la puissance nécessaire. Il faudrait recruter des dizaines de millions de rachialgiques et les ausculter aux étages les plus intimes, y compris à ceux auxquels ils n’ont pas accès (inconscients) pour en tirer quelque chose. Plutôt que reconnaître leur impuissance, les auteurs trop prétentieux publient des résultats négatifs utilisés ensuite par des gens comme Bazard, et les patients sont sommés de trouver en eux-mêmes la solution finale.

Qu’est-ce qu’une douleur ? Tout en bas de notre étagement, elle est un capteur sensoriel excité dans un tissu. Simple irritation ou lésion franche. L’intensité du stimuli commande une réaction de protection. Laissé tranquille, le tissu se répare et l’excitation s’atténue. Sauf dans la douleur chronique, où le capteur devient une célébrité. Parce qu’il est coincé dans une cicatrice, ou entre des surfaces articulaires. Ou la fibre le reliant au système nerveux central se fait elle-même agresser. Mou, le nerf perd face au dur. Or il entre et chemine dans le canal vertébral, sorte de chaîne de wagonnets qui ondulent et se télescopent lors des incessants mouvements de la vie.

Cette excitation incessante monte au système nerveux central. Comment y est-elle traitée ? Le signal est habillé d’une multitude d’interprétations successives, comme s’il passait chez le tailleur puis le maquilleur et enfin le maître de cérémonie. Tout en haut il se présente sur la scène consciente sous des apparences variées, de la simple sensation désagréable à la souffrance moralement inacceptable. Ces étages fortement imprégnés de la personnalité donnent son identité au mal de dos.

Au bas de cet étagement le signal apparaît semblable chez tout le monde. En haut il est devenu une expression personnelle. Le traitement psychologique de la douleur a donc une importance majeure, comme l’indique Bazard. Mais cela ne veut pas dire que le mal serait auto-créé dans le psychisme. Il existe toujours une excitation sensorielle. Les dysfonctionnements siègent à un ou plusieurs étages de son traitement. C’est là où l’enquête démarre.

Le premier étage à examiner est anatomique. N’existe-t-il pas un conflit entre le capteur et une structure articulaire ? Cette enquête médicale et ostéopathique n’est jamais complètement terminée. La fibre nerveuse peut être irritée en n’importe quel point de son trajet et indiquer sa terminaison comme l’endroit lésé. Ainsi le site désigné n’est pas le siège du problème. Les nerfs surexcités recrutent les fibres voisines, établissent des connexions anormales. La douleur chronique diffuse, se généralise, dissimulant son origine. Certains carrefours neurologiques importants, comme le coccyx ou la base du crâne, sont (mal) connus comme source de polyalgies constantes.

Que la plupart des maux de dos n’aient jamais été examinés correctement est une réalité. Inapparente, bien sûr, dans les méta-analyses. Cependant cet argument est trop utilisé par les douloureux pour refuser d’examiner les autres étages. « J’ai sûrement un problème que la médecine n’a pas vu ». Les examens complémentaires s’accumulent. Quand ils ne montrent pas de lésion évidente et cohérente, il faut passer à : « Il y a sûrement un problème que je n’ai pas vu ».

La médecine a tendance en effet à ne proposer qu’un diagnostic anatomique. Les thérapeutes ont conscience que la douleur est mal interprétée mais n’ont pas le moindre modèle à suivre en ce domaine. C’est la bouteille à l’encre. Chacun conseille avec ses propres croyances, sa propre expérience de la vie. Essayons d’être un peu plus systématiques.

Il existe un étage biologique de la douleur. La génétique nous fait différents. Certaines personnes sont physiologiquement plus sensibles que d’autres. Chacun peut s’auto-juger, en fonction de ce que racontent les autres à propos de stimuli habituels, peu ou très sensible. Il faut remonter cette estimation aux souvenirs de la petite enfance, avant que des évènements perturbateurs aient pu altérer cette sensibilité. Aucune raison de se sentir coupable d’une hyperesthésie génétique. S’en accommoder demande d’en faire une normalité personnelle.

Il existe des étages inconscients de la douleur. Les ratés sont possibles bien avant que les stimuli soient déclarés ‘douleur’. Chez les “neurotoniques” des boucles réflexes ajoutent des contractures irréductibles à l’irritation articulaire. Cercle vicieux qui entraîne une chronicité avant toute considération psychologique.

Étage après étage, le mental ajoute des couches de signification à la douleur. Couches intimes, reliées à l’image du soi, puis couches sociales, reliées au symbolisme collectif de la douleur. Dans certaines cultures la douleur ne doit pas être exposée. Elle vous ostracise. Vous apprenez à la cacher. A vrai dire sa dévalorisation la réduit vraiment. Mais ce n’est pas le cas dans les cultures occidentales contemporaines, qui ont lancé le slogan « Personne ne doit plus souffrir ». Idiotie sans nom qui méprise l’information essentielle constituée par la douleur. Mais toute l’organisation des soins est aujourd’hui imprégnée par ce slogan. Se dire souffrant procure une attention et des bénéfices secondaires. Une utilité majeure de la douleur, aujourd’hui, est d’améliorer sa place en société. Elle permet de réduire la pénibilité des tâches, de changer de poste, voire d’arrêter de travailler. Elle procure des pensions, des suppléments de salaire, une existence plus remarquée. Le mal de dos, par sa fréquence et sa faible corrélation avec les examens objectifs, permet d’entrer facilement dans un univers de bénéfices faciles. Cause la plus insoluble de douleur. Son propriétaire n’a aucun intérêt à l’abandonner.

Il faut voir dans ce phénomène un pragmatisme inconscient plutôt qu’une perversion consciente. Le signal douloureux est bien là, n’est pas inventé. Les simulateurs sont rares. C’est le traitement subjectif de la douleur qui est faussé. Plus rentable de la dire forte que faible. Ceux qui la trafiquent ont rarement des positions sociales avantageuses. De leur point de vue c’est un rétablissement d’équilibre dans un univers qui ne les traitent pas correctement.

Avant d’en arriver là, l’histoire de la personne a présenté, potentiellement, une série de dysfonctionnements. Corps mal compris par une éducation physique inadaptée. Image de soi cassée par une scolarité décevante. Tâche professionnelle répétitive instaurée par la société. Loisirs pré-digérés. Aucune opportunité pour que l’auto-observation prenne de la hauteur. Ou si elle le fait, elle revient dépitée. Elle se concentre alors sur une célébrité plus accessible : celle du douloureux. L’anxiété n’est pas cause du mal de dos mais conséquence d’un marasme : prison des habitudes, impuissance à réorienter son environnement. Qui est libre de disposer librement de sa semaine ? Chaque instant est occupé par une routine, à commencer par celle de refuser la moindre action déplaisante, même quand elle peut transformer la vie future.

Améliorer son mal de dos c’est en dessiner l’édifice et écrire, à chaque étage, ce qui fonctionne normalement ou pas. En commençant par le bas. N’allons pas examiner le traitement psychique d’un problème avant d’avoir jugé sa gravité physique. Si elle est faible, ne restons pas en bas. Prenons de la hauteur.

Pour ne pas laisser le mal dominer, haussons notre conscience de quelques étages.

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