La fin de vie c’est encore la vie? L’euthanasie en question

La vie, dieu unique ou foule de miracles différents?

Même les penseurs les plus cyniques et déconstructeurs ont leurs divinités. Ainsi en est-il de Michel Houellebecq et dans son sillage Erwan Le Morhedec, qui publie ‘Fin de vie en République, avant d’éteindre la lumière’, une tribune contre l’euthanasie. Chez eux la vie est une divinité. En tant que telle elle est un tout indécomposable.  La citation est éloquente. « La fin de vie c’est encore la vie » indique qu’il n’existe qu’un seul type de vie, une définition unique, une apparence universelle. Symbole déifié.

Certainement ces auteurs ont-ils côtoyé la fin de vie. Mais pas sa diversité. Sinon ils descendraient de leur perchoir face au Dieu unique pour devenir un peu plus animistes. Chacune de nos vies est un miracle individuel, et aucun de ces miracles ne s’éteint de la même manière.

Quand le miracle s’efface

Le cas le plus courant dans les hôpitaux est une vie organique persistante quand l’esprit s’est enfui depuis longtemps. Si Houellebecq et Le Morhedec définissent la vie comme une masse de tissus parcourue par des fluides, effectivement il faut sauver ce véhicule déserté.

Mais la plupart des proches ne voient pas leur parent ainsi. Celui ou celle qu’ils ont connu a clairement disparu. Il n’y a plus d’échange possible. Mais impossible de commencer son deuil. Il faut continuer à souffrir devant ce fantôme charnel maintenu dans la réalité par des progrès techniques et non éthiques.

Conservation du corps en décalage avec l’esprit

C’est une situation extrêmement courante grâce en particulier aux avancées cardiologiques. Le coeur du vieillard a été ralenti et protégé, peut durer encore bien des années, alors qu’auparavant c’était lui qui donnait le signal de la fin. A-t-on progressé autant pour le réceptacle de notre identité spirituelle, le cerveau ? Non. Au contraire, l’allongement de vie et le cocooning attentif dont bénéficient les personnes âgées leur permet de survivre longtemps même en cas de dégradation profonde de leurs fonctions mentales.

Ce n’est pas ce cocooning bien sûr qu’il faut remettre en question. Au contraire il est menacé par le détournement des moyens dans les causes perdues. Le secours et la résilience des vieux dont l’esprit est encore vif sont entravés par les fuites du système, par l’incapacité morale de certains à reconnaître que tout est fini.

Fausse éthique et mauvais emploi de la loi

Non seulement Houellebecq et Le Morhedec condamnent des familles entières à souffrir parfois des mois devant un corps déshabité, ce qui affadit et finit par effacer la belle image qu’ils pouvaient avoir du vivant. Mais ils condamnent également des vieux bien conservés à mendier plus difficilement la solidarité sociale, parce qu’il y a des caisses pour la comptabiliser, et au fond d’elles des trous béants créés par ces pseudo-éthiciens.

Leur erreur est répandue : croire qu’une législation générale est adaptée à des situations strictement personnelles. Le propre d’une législation est d’interdire, pas d’autoriser. Si l’on reconnaît l’existence d’une liberté à partir, pourquoi l’annihiler ? Deux points de vue se complètent à ce sujet, sans s’opposer. Le regard individuel, quand il existe : la personne a suffisamment conscience de sa déchéance pour réclamer une euthanasie. Malgré qu’il respecte une liberté fondamentale, c’est le regard le plus contestable. Car solitaire.

L’autre point de vue est collectif. L’esprit du mourant n’est plus là. Ou abruti par les antalgiques. Ce qui ne l’empêche pas de souffrir. Houellebecq et Le Morhedec semblent réduire la souffrance à la douleur physique. Celle de détester son état ne s’élimine pas avec de la morphine. La décision d’euthanasier est-elle susceptible de dérives ? Pas si elle est réellement collective, objet d’un consensus médical et familial.

Le soutien des routiniers

Ce consensus demande réflexion et discussion pour chaque cas individuel. En barrant la possibilité d’euthanasie, Houellebecq et Le Morhedec trouvent un soutien paradoxal parmi une certaine catégorie de médecins : ceux qui n’ont pas envie de s’embarrasser avec toutes ces complications…

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