L’ostéopathie est-elle scientifique ?

Une médecine alternative?

La densité d’ostéopathes en France est un record (49 pour 100.000 habitants) qui dépasse même les USA, pays où est née la spécialité. Divergence plus notable: les ostéopathes américains sont tous médecins, ayant suivi le même tronc de formation fondamentale. Les français, eux, sont une minorité de médecins, passés par une formation complémentaire ; les autres font 5 ans d’école privée après le BAC.

En France, l’ostéopathie est ainsi plus volontiers classée dans les médecines alternatives. Dans le pays de Claude Bernard, tout ce qui n’a pas apporté la preuve expérimentale de son efficacité est considéré comme une “patamédecine”, terme cher à Marcel-Francis Kahn, un professeur qui avait proposé en son temps aux homéopathes de venir évaluer leurs traitements dans son service. Proposition déclinée. L’homéopathie était déjà très populaire et n’avait pas besoin d’un coup de projecteur qui risquait de l’assimiler à un placebo.

Un peu de schizophrénie médicale

Et l’ostéopathie, est-elle un placebo ou une authentique thérapeutique manuelle aux indications codifiées ? Beaucoup, dans le monde médical, donnent encore la première réponse. En discordance manifeste avec la popularité de la spécialité, à laquelle recourent même certains sceptiques affichés. Une véritable schizophrénie qui touche les plus hautes sphères ! Mon ancien patron en rhumatologie enseignait à ses étudiants que l’ostéopathie est une foutaise et se faisait manipuler en toute discrétion quand il souffrait du dos…

Sciences et Avenir s’est fait en 2021 l’écho d’une grande étude de Christelle Nguyen parue dans le Jama Internal Medecine, qui conclue à l’effet « à peine supérieur au placebo » de l’ostéopathie. Malgré la qualité statistique indéniable de l’étude, qui a concerné 400 personnes, c’est une vraie jobardise en matière de science, pour différentes raisons (méthodologie, choix du placebo et de l’indication) que je vais détailler.

Auparavant l’INSERM avait rendu en 2012 un rapport global sur l’ostéopathie. Conclusion : « L’ostéopathie regroupe un ensemble de pratiques hétérogène. Elle s’adresse à des troubles fonctionnels fréquents, intéresse donc un grand nombre de personnes, mais sans supériorité prouvée par rapport aux alternatives classiques. Des accidents rares mais graves peuvent survenir lors des manipulations cervicales ».

Chausse-trape pour les chercheurs

Il existe en fait une littérature scientifique conséquente sur l’ostéopathie, dont vous avez un aperçu ici. L’INSERM a consulté 64 études, fonds moins important que pour la chiropraxie (200) ou l’acupuncture (plus de 600). Compréhensible: ces deux dernières spécialités sont très codifiées, contrairement à l’ostéopathie qui regroupe une multitude de techniques, philosophies et pratiques personnelles différentes.

Une analogie serait que vous cherchiez à étudier un nouveau médicament, mais ce que vous administrez réellement contient plein d’additifs différents d’une gélule à l’autre, tous susceptibles de modifier l’effet du produit. Comment pourriez-vous tirer une conclusion générale de l’étude ? Si l’un des mélanges fonctionne, ses bons résultats seront noyés par l’échec des autres. Votre étude ne sert à rien. C’est la chausse-trape dans laquelle est tombée Christelle Nguyen.

Connaître l’ostéopathie en détail

Voici les caractéristiques générales de l’ostéopathie, face aux traitements médicaux classiques :
-fondée initialement sur des techniques aux effets immédiats,
-théorisée dans la foulée sans méthode scientifique, dérivant même dans le mystique,
-secondairement adossée à une excellente connaissance de la neuro-anatomie,
-produisant au final un mélange de croyances et de notions physiologiques fondées, variable d’un thérapeute à l’autre,
-médecine opérateur-dépendante, selon l’habileté manuelle, la courbe d’apprentissage, et surtout la capacité à adapter ses techniques au cas traité (type lésionnel et tempérament du patient),
-s’adressant à des troubles variés et mal codifiés par la médecine classique.

J’en tire une observation générale subjective, étant prescripteur plus souvent que pratiquant : Les ostéopathes les plus âgés ont volontiers des idées bizarres mais une expérience apportant des résultats durables. Les jeunes ont une formation théorique plus homogène, ont cessé les manipulations agressives, apportent un soulagement moins spectaculaire mais à moindre risque aussi.

Dans le bourbier

Reprenons l’étude de Christelle Nguyen du début. Elle veut analyser « l’efficacité de manipulations ostéopathiques versus fausses manipulations dans la lombalgie ». Aïe ! Les manipulations ne sont pas codifiées comme l’administration d’une gélule. Elles sont opérateur-dépendantes. Les fausses manipulations ne sont pas un placebo inefficace, au contraire : parmi les techniques,« énergétiser » ne demande aucun contact. Le placebo marche très bien en ostéopathie (comme le sérum physiologique dans les infiltrations, autre piège pour la science).

Enfin la lombalgie “commune” est un fourre-tout dans lequel la médecine se contente d’exclure les désordres biologiques avérés, infections, tumeurs, inflammations rhumatismales etc. Restent les dysfonctionnements mécaniques, aussi variés que les pannes d’un moteur automobile. Dire « Soignez-moi cette lombalgie » c’est demander au garagiste s’il a un traitement standard pour faire repartir votre voiture qui refuse d’avancer !

Blinders Based Medecine

Christelle Nguyen s’est donc engluée dans un profond bourbier dès la déclaration de son objectif. Elle ne risque pas d’en sortir en utilisant, comme pour un médicament, la méthodologie en double aveugle. Celle-ci est adaptée à une substance isolée donnée dans une indication précise. Pas du tout à des techniques multiples, en lien avec l’opérateur, utilisées dans des sous-groupes variés. Galaxie de phénomènes analysée avec une simple règle graduée !

À vrai dire j’en suis gêné pour la médecine car ce genre d’aveuglement jette une opprobre plus large sur la recherche fondée sur la même méthodologie. Trop souvent l’isolement du critère étudié est arbitraire, les patients sont supposés être des robots présentant un symptôme unique et indifférents au contexte de l’étude. L’Evidence Based Medecine (fondée sur les preuves) prend des allures de Blinders Based Medecine (fondée sur les oeillères). Pauvre science ! C’est moins Big Pharma qui est un danger pour elle, que notre propre réductionnisme.

Une vraie science pour les traitements physiques

Quelle méthodologie est adaptée à l’ostéopathie ? C’est l’inverse : faire un protocole dépendant de l’opérateur, c’est-à-dire en choisir un, de préférence expérimenté, le laisser personnaliser son diagnostic et sa technique de traitement. Il lui est demandé de réaliser soit les interventions qu’il pense efficaces, soit d’autres qu’il pense inefficaces, soit aucune intervention. Un observateur neutre est présent pour vérifier que la prise en charge ne permet pas au patient de savoir ce qu’il reçoit. En complément il est possible d’interroger le patient dès la sortie sur le traitement qu’il pense avoir reçu.

Un autre observateur collige les résultats en interrogeant ultérieurement les patients des 3 groupes, vrai traitement, placebo, et non-traitement. Une enquête complète étudiera indépendamment les résultats d’un nombre d’opérateurs suffisamment représentatif de la variété des écoles et des techniques. Ce n’est pas 400 malades pour quelques ostéopathes qu’il faut prévoir, mais plutôt 50 ostéopathes ayant chacun leur vingtaine de patients à traiter.

Un bon début

Ceci n’est pas une évaluation scientifique classique et la lombalgie commune n’est pas encore clairement démembrée ainsi. Mais c’est une excellente méthode, à coup sûr, pour trouver les meilleurs formateurs en ostéopathie !

Je traite dans un article complémentaire : Comment fonctionne l’ostéopathie ? Quels sont les avantages et les risques ? Comment choisir son ostéopathe ?

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